Une fable : la crise d’adolescence de l’Occident
La seconde guerre mondiale a été dévastatrice. Une période de croissance et de progrès sans égale l’a suivie. On peut qualifier cette période d’insouciance heureuse. La reconstruction de l’Europe durant les 30 glorieuses s’est accompagnée de multiples innovations et progrès techniques qui ont contribué à une amélioration importante des conditions de vie. On peut citer l’essor de l’industrie automobile, la télévision, l’émergence de l’électroménager (réfrigérateurs, machines à laver, cuisinières), l’énergie nucléaire, le premier transistor, les premiers satellites, les débuts de l’informatique, le développement de vaccins (polio), l’utilisation généralisée des antibiotiques, la complétude de l’adduction de l’eau courante sur tout le territoire. Ces progrès ont eu un impact réel sur la vie matérielle de la population. Le chômage n’existait pas. On voulait déménager ? On déménageait. Ensuite on ne cherchait pas du boulot, on en trouvait, partout !
Une hypothèse de l’émergence du stop-isme pourrait être une crise existentielle de l’occident. Papa-progrès et Maman-croissance ont recueilli bébé-occident, meurtri par 4 ans de guerre. Ils l’ont élevé avec attention, amour, et bienveillance pour qu’il grandisse et s’épanouisse sans trop de problème matériel. Mais bébé-occident après avoir gazouillé 30ans sous le regard attendri de ses parents, nous a fait en plein bonheur et sans raison apparente, une crise d’adolescence. Il a envoyé aux fraises ses parents « progrès » et « croissance ». On pourrait presque dire que maman-croissance est partie toute seule de son propre chef à la fin des trente glorieuses, et a laissé notre petit-Occident en pleine crise d’adolescence tout seul avec papa-progrès. Notre petit-occident s’est mis à haïr son père comme un adolescent. Il a rejeté tout ce qui venait de lui, et qui pourtant contribuait à sa sécurité matérielle énergétique et alimentaire. Nucléaire, hydrocarbures, produit phytosanitaire, OGM, glyphosate, etc. Pour enfoncer le clou, pour le cas où il devenait compliqué de prouver que telle innovation était potentiellement néfaste, petit-Occident nous a mis en place le principe de précaution. Et papa-progrès s’en est trouvé bien embarrassé car il inventait des merveilles pour le bien de son rejeton que son rejeton rejetait par défaut. Ce n’est qu’une fable, cependant il n’est pas anodin de réaliser que le début de cette tendance au stop-isme a correspondu pile poil à la fin d’une période de forte croissance. Comme si les occidentaux avaient dit à dame croissance, « tu t’en vas ? Et bien va-t-en, on s’en fiche et embarque donc le progrès avec toi ! ».
Cette correspondance temporelle est assez troublante. C’est au même moment d’ailleurs que nait le mouvement hippie de contestation de la société de consommation.
(Photo Woodstock 1969)
Si on réalise que la première grande conférence mondiales sur l’environnement (Stockholm 1972) s’est déroulée seulement 3 ans après Woodstock, on peut légitimement se demander si les acteurs onusiens en cols blancs de ces conférences, n’étaient finalement pas comme tout le monde, juste dans le mouv’ de cette lame de fond populaire des années 68, et du mouvement hippie qui prônait déjà une forme de retour à la nature. Extrait : “…Dans la filiation de l’hypothèse Gaïa, formulée par James Lovelock à cette période où les premières craintes pour l’environnement commençaient à s’exprimer, se sont bâties des croyances écologistes mystiques, nommées les « théories Gaïa » par Lynn Margulis...”
Je me souviens des débuts de l’écologie quand elle dénonçait les décharges à ciel ouvert ou les déchets plastiques qui jonchaient les plages de Lacanau où, étudiant, j’allais souvent. J’ai un souvenir flash aussi qui date des années 80. J’avais travaillé vers mes 18 ans quelques mois d’été dans l’importante papèterie d’Alizay en Normandie (ça pue !). Mon père, commercial à Merlin Gérin y vendait des gros postes de transformation. Il m’avait obtenu des petits boulots d’été. Mon père n’était pas à proprement parler un écologiste endurci. Son principal client était l’usine de retraitement de déchets nucléaires de la Hague, et il me parlait souvent déjà à l’époque de l’utopie de l’éolien. Mais quand même, il m’avait dit « À la papèterie d’Alizay, si les écolos n’étaient pas intervenus, ils bouchaient la Seine ! ». C’était l’ambiance. L’écologie opérait à l’époque un contre-pouvoir que je qualifierais de salutaire, à mille lieux de l’écologie radicale et punitive d’aujourd’hui (et zut, le mythe du bon vieux temps qui me rattrape !). L’insouciance des trente glorieuses faisait faire un peu n’importe quoi quand même. Et notre ami Christian Gérondeau le sait, lui qui s’était attaqué à l’époque au carnage des accidents de la route, avec ses 18 000 morts par an qui semblaient ne déranger que leurs familles. Une simple ceinture a suffi pour limiter la casse, mais combien de drames ont été nécessaires avant de s’attaquer au problème ? L’insouciance généralisée de cette période contribue sans doute à l’émergence du stop-isme, mais elle est loin d’expliquer sa radicalité actuelle.
Si j’ai osé cette fable rocambolesque de l’adolescence de l’occident, c’est qu’on comprend mal comment la modernité qui avait apporté tant de bénéfices au regard du peu d’inconvénients, a pu faire l’objet d’un tel rejet. Un espoir nait de cette fable : Après l’insouciance des trente glorieuses (l’enfance), après la crise hystérique actuelle (l’adolescence), et si la tendance naturelle à venir n’était pas la raison (l’âge adulte) ? Et si notre société ne finirait pas par enfin devenir raisonnable, rejeter l’obscurantisme et renouer avec papa progrès, le voir finalement comme un bon père qui a fait tout ce qu’il faut, quelques conneries quand même, mais si peu au regard du tout. C’est l’espoir que me procure cette fable.
La déprime du rentier
Il est une autre piste qui est liée à mon vécu, une autre fable qui devrait vous barber autant que la première, celle du rentier.
J’ai vécu 2 ans dans une dictature communiste. J’avais 23 ans et suis parti faire la coopération militaire. J’enseignais des bribes d’informatique à l’université d’Addis Abéba. Le rapport entre le Smic français et le Smic éthiopien était d’environ 50. Vu d’un Éthiopien, je gagnais 100 000€ par mois. 1 200 000€ par an, à une vache près. Ce que j’ai vu là-bas m’a marqué pour la vie. Des enfants mendiant, atteints de polio, les membres bringuebalant comme des allumettes, accrochés au coup du frangin. Une vieille dame qui ne parvenait pas à saisir le billet de 5 birrs que je lui tendais avec les moignons de doigt qui lui restaient, rongés par la lèpre. Un commissariat où les prisonniers étaient entassés dans des cages de 1 mètre de haut les unes sur les autres. Mon copain Ahmed prof à l’université qui me chuchotait tout bas à l’oreille suite à une discussion sur les élections françaises de 1987 « We have elections here too. The problem is, there’s only one. » Quand on me dit que la France est devenue un pays communiste, ça me fait quand même un peu sourire à l’idée de ce qu’en penserait mon copain Ahmed. À mon retour en France après cette expérience sans égale, j’avais un peu de mal avec la notion de décroissance en pensant à tous ces gens, et surtout par respect pour eux.
Pour revenir à nos moutons, dans mon entourage proche, je connais au moins 3 personnes qui n’ont pas supporté de se trouver « rentier », assez tôt sans la nécessité de travailler, et avec des revenus substantiels. Elles ont sombré dans la déprime et l’alcoolisme. Bizarrement, le confort absolu, l’absence d’adversité de la vie, ou encore la cagnotte du loto, ne sont pas supportés par tout le monde.
Pour avoir vu toute cette misère dans cette dictature africaine, je ne peux m’empêcher de faire le rapprochement au niveau d’un État : Quand on a tout, quand on est dans une société protectrice, où l’assistanat est la règle, quand on vous soigne quoique que vous fassiez, qui que vous soyez, quand on ne meurt ni de soif ni de faim, quand on vous fait une anesthésie pour vous soigner les dents, est-ce que le risque d’une société n’est pas de sombrer dans ce syndrome de la déprime du rentier ? Le réchauffement dérèglement changement crise l’ébullition climatique, la décroissance, ou encore la crise de l’environnement, ne sont des concepts audibles que pour les privilégiés que nous sommes. Nous pouvons nous offrir le luxe de cette déprime environnementale simplement parce que nous avons atteint un tel degré d’opulence qu’il ne nous procure plus le bonheur qui devrait pourtant l’accompagner. D’ailleurs il est prouvé que la notion de bonheur est lié non pas à un état statique, mais à un état de transition. Un salarié à 1500€ à qui on accorde une augmentation de 10 % aura une sensation de bonheur le temps de la transition (quelques mois) puis retournera dans l’état d’avant rapidement. En revanche celui à l’étage au-dessus qui gagne 15000€ à qui on annonce la suppression de la prime d’intéressement de 3 % octroyée l’année d’avant, ressentira comparativement une très forte frustration, et sera sincèrement très malheureux, et bien plus malheureux que son collègue de dessous qui gagne pourtant 10 fois moins.
La question posée ici est tout bêtement celle de l’enfant gâté qui n’a aucune conscience du confort de vie dans lequel il est, et qui crache dans la soupe de la croissance parce qu’il n’a jamais eu faim. C’est la déprime du rentier, celle du sale gosse qui nous reproche de lui avoir « volé sa jeunesse », et qui demande aux gamins congolais d’extraire du cobalt pour construire la voiture électrique de papa.
L’absence de vision
La démocratie présente beaucoup d’avantages. Elle est pour nous tous une évidence et ne se discute pas. J’ose une critique tout de même, c’est l’absence de vision, de projet. Le système d’alternance politique ne permet pas de se projeter sur un long terme. Le tricotage des uns est souvent rapidement détricoté par les autres au mandat suivant. Parfois même on détricote soi-même ce qu’on vient tout juste de tricoter dans un même mandat, témoin cette volte face sur le nucléaire dans le mandat présent. Loin de moi l’idée d’aspirer à un système dictatorial, je fais simplement l’hypothèse que cette absence de vision, de projet de groupe long terme, peut contribuer à une morosité générale, un manque d’engouement qui peut alimenter le stop-isme. Se développer, ok, mais pour quoi faire ? Que visons-nous collectivement pour dans 50 ans, 100 ans ? Quel vivre-ensemble ? Quel projet pour l’Europe ? Pour Poutine c’est le retour de la Grande Russie, pour Xi peut-être devenir la première puissance économique mondiale, pour l’Europe on ne sait pas trop en fait, en tout cas, ceux qui la dirigent n’en parle jamais et je pense qu’ils ne le savent pas eux-même. Ils n’ont pas de vision long terme.
Sur ce terrain, l’écologisme apporte des réponses, bonnes ou mauvaises (plutôt mauvaises…), mais des réponses. Ils proposent d’aller dans telle direction et pas une autre. Sans proposition alternative pour s’opposer à ces fous de Dieu témoins de Greta, l’écologisme fait cavalier seul. Ses propositions sont mauvaises ? OK. Mais en la matière, rien n’est pire que le néant qui laisse le champ libre au n’importe quoi.
Il manque au contre-écologisme, une dimension de propositions alternatives. Cela pourrait être une écologie raisonnée, des propositions claires et précises pour un environnement préservé, le complet démantèlement de l’éolien, le contrôle complet des déchets plastics (qui aujourd’hui finissent en mer malgré le tri, en passant par l’Afrique), la promotion de voitures thermiques de faible poids avec amélioration du filtrage de particules, que sais-je ? Le but n’est pas ici de répondre précisément à ces questions, mais simplement de dire que si aucun plan de contre-propositions concrètes n’est présenté, l’écologie radicale continuera de nous imposer les siennes. Et pardon pour ce yakafocon.
*** Fin de Stop-isme (3/4) ***